Pourquoi en tant que chef d’entreprise, actionnaire, membre d’un COMEX, directeur de la stratégie d’une PME, devrai-je m’intéresser aux élections européennes qui se tiendront le dimanche 9 juin en France ?
Cette question peut sembler anecdotique au regard des nombreuses activités que doivent superviser ces dirigeants. Pour autant, l’enjeu des élections européennes sur la stratégie de développement des PME françaises est loin de l’être.
Du 13 au 15 novembre dernier s’est tenue l’assemblée européenne des PME à Bilbao. Les représentants des syndicats des PME et les chefs d’entreprises ont pu s’y rendre afin de faire part de leurs préoccupations. La question de la gestion des risques préoccupe les PME qui cherchent à s’adapter aux évolutions technologiques, géopolitiques et économiques. La guerre en Ukraine, l’inflation des matières premières, le développement de l’intelligence artificielle incarnent les grands « vertiges » actuels que doivent supporter les PME. D’autres enjeux liés au besoin de compétences, d’accès aux financements et de simplification réglementaire s’ajoutent à ces grands vertiges de notre temps. L’apparition de crises est une période opportune à la remise en question de ses stratégies. Cet article s’inscrit dans ce processus de réflexion.
Avant de s’intéresser proprement aux enjeux des élections européennes pour les PME, il convient de comprendre le fonctionnement institutionnel « polycentriste » de l’U-E.
L’Union européenne est d’abord caractérisée par son « polycentrisme » institutionnel. La notion d’équilibre de la gouvernance entre contrainte et coopération se rapproche davantage dans l’U- E de la notion de poids et contrepoids (check and balances aux États-Unis d’Amérique) que de la notion de séparation des pouvoirs française théorisée par Montesquieu. Les organes politiques qui font partie du triangle décisionnel c’est-à-dire la Commission européenne, le Parlement européen, et le Conseil sont séparés certes, mais doivent également posséder des moyens d’action les uns contre les autres. C’est également l’idée, assez théorique, selon laquelle aucun organe politique ne doit dominer les autres.
En Droit des institutions européennes, la vision classique du triangle décisionnel serait correcte dans la mesure où il n’y a que trois institutions qui participent à la production législative européenne (article 5 du TFUE). Seuls la Commission, le Conseil, et le Parlement européen en font partie. L’organe politique n’en faisant pas partie est le Conseil européen qui réunit les Chefs d’État des vingt-sept États membres. Le Conseil européen donne les grands axes de la politique de l’Union à moyen et long terme aux dirigeants des autres institutions, et nomme des personnalités clés de l’U E. comme la Présidente de la Commission (en fonction des résultats des élections européennes) et la Présidente de la BCE. Par ailleurs, il existe d’autres acteurs non institutionnels comme les groupes d’intérêts qui jouent un rôle clé dans la préparation des actes législatifs européens par leur expertise et leur compréhension des intérêts de leurs clients (vision pluraliste). La BCE, même en tant qu’organe indépendant, participe à la gouvernance de l’UE, en particulier sa gouvernance monétaire par le changement des taux d’intérêt directeurs. Les Etats-Membres ont leur représentation permanente à Bruxelles qui joue un rôle important dans le processus décisionnel européen. Enfin, il existe un ensemble de comités (« Comitologie »). Les comités de représentation permanente des régions, mais également les comités chargés d’apporter des expertises sur divers domaines tant qu’économiques, sociaux et écologiques travaillent avec les organes décisionnels.
Il convient dans cet article de s’intéresser aux deux organes politiques qui évolueront avec les résultats des élections européennes, c’est-à-dire le Parlement européen et à la Commission européenne. Ainsi il semble opportun d’étudier en quoi les résultats des élections européennes pourraient transformer la stratégie de développement des PME françaises.
Nous commencerons par une exploration des défis auxquels sont confrontées les moyennes entreprises européennes tout en expliquant quelles sont les récentes réponses de la part de l’U- E (I). Ensuite, nous nous plongerons dans une analyse des tendances électorales de la mi- décembre des élections européennes de juin (II). Par la suite, nous chercherons à comprendre les risques et opportunités potentiels pour les PME découlant des politiques mises en œuvre par le Parlement et la Commission européenne (III). Pour conclure, nous proposerons une méthode d’adaptation aux entreprises, en mettant l’accent sur celles qui opèrent à l’international, pour qu’elles puissent naviguer efficacement à travers les changements politiques de l’U-E (IV).
Les défis auxquels sont confrontées les moyennes entreprises européennes et lesnouvelles tentatives de réponse européenne
Le premier défi auquel sont confrontées les PME est lié au besoin d’harmonisation réglementaire et de simplification des charges administratives. Comme l’explique le Livre Blanc de la CPME1 en vue des élections européennes de 2019, les PME ont besoin de visibilité réglementaire et ne peuvent pas attendre les décisions de l’U-E avant d’investir dans un projet. La crainte du dumping social, de la surrèglementation liée à la superposition de règles nationales sur des règles européennes bloque l’agilité des entreprises. À cela s’ajoute de lourdes charges administratives, notamment nécessaires pour obtenir de fonds européens. La Commission a décidé dans son « Paquet d’aides aux PME »2 de 2023 de désigner un représentant de l’U E. chargé de représenter les PME et de participer aux réunions de la Commission lorsqu’elle examine de nouvelles réglementations. Son objectif sera de suivre l’avancement de la réduction de 25% des charges administratives des PME.
Le deuxième défi auquel sont confrontées les PME est celui lié aux retards de payement. Dans l’U-E, une faillite sur quatre est due à des retards de payement. Cela coûte plus de 275 milliards d’euros aux entreprises européennes chaque année, sachant qu’un retard de payement en entraîne un autre… Plus de 20% des entreprises sont concernées par cette problématique3. Cela fait écho à la forte augmentation du nombre de faillites en U-E qui sont à leur plus haut niveau depuis 2015 et ont augmenté de 8% au semestre dernier. Les effets de la pandémie de la Covid- 19 ne se sont jamais encore fait autant ressentir. Les PME ont donc besoin de cash flow, elles ne peuvent continuer à supporter cette situation. La Commission européenne n’est pas restée sourde et a récemment proposé une directive pour limiter le délai de payement à trente jours maximum.
Le troisième défi est celui du manque d’accès aux financements. En effet, le contexte géoéconomique actuel n’est pas propice à faciliter l’accès aux financements. Le taux directeur de la BCE est aujourd’hui à 4%, les levées de fonds se font plus difficilement (8 milliards d’euros, en recul de 43 % par rapport à 2022), et l’inflation des matières premières n’encourage pas l’investissement.
Le quatrième défi est celui du besoin de compétences (y compris en matière de gestion). Les PME cherchent des profils opérationnels ayant en particulier des qualifications techniques. L’exemple d’un des métiers les plus recherchés dans l’industrie de la défense est celui de soudeur nucléaire. L’U-E, consciente de cet enjeu, encourage par le biais de ses programmes de financement le développement des formations professionnelles.
Source des données : European Commission (online), SME RELIEF PACKAGE : https ://single-market- economy.ec.europa.eu/publications/sme-relief-package_en
En bref, la Commission européenne à travers son « Paque d’aides aux PME » souhaite : réduire les taxes, harmoniser le cadre réglementaire, diminuer les charges administratives pour les PME, protéger les Européens des nouveaux défis (guerre, inflation, IA, etc.) en créant un cadre (DMA, AI Act, DSA), et simplifier l’accès aux financements des PME par le biais du programme InvestEU’s et des fonds européens comme Your Europe Business · InvestEU · Horizon Europe.
Analyse des dernières tendances (mi-décembre) des élections européennes de juin 2024 : le retour du nouvel intergouvernementalisme ?
Source des données : Poll of Polls – Politico Europe, 13 décembre
Les élections nationales ne se limitent pas à déterminer la composition future du Parlement européen, elles influencent également la sélection des postes clés, les “top jobs”, au sein de l’Union européenne. Chaque dirigeant européen se trouve dans une position où il doit anticiper le moment où il devra céder sa place (ou la conserver, en fonction de ses aspirations personnelles). Par ailleurs, il semble opportun de rappeler que le Président de la Commission est proposé par le Conseil européen en fonction des résultats aux élections européennes (si le groupe PPE est en tête, le Président de la Commission proposé sera un membre du PPE). Le Parlement européen ensuite adopte le collège des commissaires sachant qu’il y a un commissaire par État membre.
Les projections actuelles sont claires : la droite souverainiste pourrait se renforcer au Parlement européen avec une augmentation du nombre des députés du groupe d’extrême droite ID. Les résultats aux Pays-Bas, en Italie, en Hongrie, et en France seront déterminants. Les dernières élections législatives aux Pays-Bas où l’eurosceptique Geert Wilders est arrivé largement en tête ne faciliteront pas les relations entre Bruxelles et Amsterdam. En Italie, la Première ministre Giorgia Meloni continue de représenter la droite souverainiste au Conseil européen avec le Premier ministre hongrois Victor Orban. La position de Victor Orban au dernier Conseil européen à propos de l’acceptation de l’Ukraine en tant que candidat officiel à l’U-E n’a été qu’un exemple de la manière dont les prochains Conseils européens risquent de se dérouler si les leaders souverainistes se multiplient.
En France, Jordan Bardella jouit de sondages très favorables qui le placent en tête avec plus de 31% des voix selon le sondage Odoxa du 19/12/20234 commandé par Public Sénat.
Par conséquent, le processus de co-décision pourrait ainsi évoluer vers davantage d’intergouvernementalisme où les aspirations nationales prendraient le dessus sur les aspirations d’intégration communautaire.
Il semble opportun de se demander si l’UE sera obligée d’adopter l’approche du Nouveau Intergouvernementalisme5 . En effet, selon cette approche théorisée par Mark Pollack (2001), la souveraineté est la pierre angulaire qui permet de conserver le sensible équilibre dans le fonctionnement des relations entre États. Certes, la Commission détient des pouvoirs exécutifs censés être indépendants, pour autant son intervention n’exerce pas l’influence la plus puissante dans les décisions entre États. Le mécanisme garantissant l’intérêt communautaire est en réalité un mécanisme garantissant les intérêts particuliers des États membres. Concrètement, la Commission a cherché à maintenir cet équilibre en décidant par exemple de prolonger le mécanisme temporaire qui permet aux États membres de soutenir leurs entreprises alors que la guerre en Ukraine fragilise l’économie européenne6. Sans cette aide en retour de la Commission, les relations entre la Commission et les gouvernements des États membres pourraient être plus difficiles. En outre, l’exemple de la proposition d’embargo total sur le gaz russe par la Commission le 4 mai 2022 illustre le mécanisme décrit par le nouvel intergouvernementalisme. De fait, la Hongrie a posé son veto pour empêcher son application. Sans accès à la mer, V. Orban voit cette décision comme une « bombe nucléaire économique » sur le pays. Son intérêt est également celui de maintenir de bonnes relations avec Vladimir Poutine. Outre la Hongrie, la Slovaquie et la République tchèque ont obtenu de pouvoir continuer leurs importations pétrolières russes, durant l’année 2023. Chypre, Malte et la Grèce, des pays armateurs, refusent la proposition d’interdire tout transport de produits pétroliers russes par des navires battant pavillon de l’UE. Ainsi, l’intérêt de la Commission qui cherche à atteindre des objectifs communs est dans les faits remis en cause par certains intérêts nationaux. Le mécanisme défendu par le nouvel intergouvernementalisme est un moyen de maintenir une coopération entre la Commission et les gouvernements nationaux en évitant d’aggraver les oppositions d’intérêts.
4 Public Sénat (online), 19/12/2023 https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/europeennes-2024-le-rn- largement-en-tete-avec-31-dintentions-de-vote-selon-notre-sondage-odoxa
5 SAURUGGER Sabine, « Chapitre 3. Intergouvernementalisme », dans : Théories et concepts de l’intégration européenne. 2 e édition mise à jour et augmentée, sous la direction de SAURUGGER Sabine. Paris, Presses de Sciences Po, « Références », 2020, p. 69-102. URL : https://www-cairn-info.ezpaarse.univ-paris1.fr/theories-et concepts-de-l-integration-europeenne–9782724626353-page-69.htm
6 SCHMITT Fabienne, « Crise énergétique : Bruxelles va doubler les plafonds d’aide d’État », Les Echos, 27 octobre 2022, (disponible sur internet) : https://www.lesechos.fr/monde/europe/crise-energetique-bruxelles va-doubler-les-plafonds-daide-detat-1873352
Les possibles effets des politiques conduites par les principaux groupes au Parlement européen
A) Risques pour les PME françaises
Il est difficile d’énumérer les principaux risques économiques pour les PME d’un renforcement des droites souverainistes au Parlement européen. Les droites souverainistes ou extrêmes droites sont plurielles, en fonction des pays leurs politiques économiques sont libérales ou redistributives et protectionnistes. Cependant vous trouverez les principaux risques économiques ci-dessous :
B) Opportunités pour les PME françaises
Les opportunités dépendent des secteurs d’activité des PME, et demeurent difficiles à énumérer. La réindustrialisation européenne est une opportunité qui s’inscrit dans le long terme. La réindustrialisation permettrait d’augmenter les contrats annexes aux industries qui stimulent l’activité des PME. Par ailleurs, une diminution des taxes, une simplification et harmonisation réglementaire, ainsi qu’une politique d’investissement, serviraient les intérêts des PME.
Les suggestions pour que les PME s’adaptent aux évolutions politiques de l’U-E
Le schéma suivant explique les étapes générales que peuvent effectuer les PME qui souhaitent déployer une stratégie d’affaires publiques. Cependant, seuls les professionnels en affaires publiques connaissent les rouages de ces stratégies et sauront les déployer avec professionnalisme. Par conséquent, il peut sembler intéressant qu’une PME externalise sa stratégie d’affaires publiques auprès d’un cabinet comme Gouvernance & Valeurs et/ou auprès d’une fédération professionnelle.
Il est important pour les PME de rester informées et de comprendre les implications des résultats des élections européennes. En faisant preuve de flexibilité et d’adaptabilité, elles peuvent non seulement surmonter les défis, mais aussi tirer parti des opportunités pour stimuler leur croissance et leur développement. L’équipe du cabinet Gouvernance & Valeurs dirigé par Bernard ATTALI saura vous accompagner dans cette stratégie de développement.
Le Cabinet intervient auprès des dirigeants d’entreprises privées pour les assister dans leurs relations avec les administrations.
À destination des dirigeants d’entreprises privées :
- Veille réglementaire et juridique
- Assistance dans la gestion des relations avec les administrations : URSSAF, DGIFP…
- Médiations
- Assistance dans l’obtention de financement : subventions ou aides publiques, financement de projets à l’international via des banques publiques
- Accompagnement dans les activités de communication
- Accompagnement dans l’élaboration et le déploiement des stratégies d’affaires publiques
Raphaël LETOURMY-GIRAULT
Bibliographie indicative :
1 Confédération des PME (online), Elections européennes 2019 : 11 propositions, 5 ans pour agir :
https://www.cpme.fr/publications/livres-blancs/elections-europeennes-2019-11-propositions-5-ans- pour-agir
2 European Commission (online), SME RELIEF PACKAGE : https://single-market- economy.ec.europa.eu/publications/sme-relief-package_en
3 EURONEWS (online), Comment l’UE veut protéger les PME face aux retards de paiement
Andrea Bolitho, publié le 05/09/2023 : https://fr.euronews.com/business/2023/09/05/comment-l-ue- veut-proteger-les-pme-face-aux-retards-de-paiement
4 Public Sénat (online), 19/12/2023 https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/europeennes- 2024-le-rn-largement-en-tete-avec-31-dintentions-de-vote-selon-notre-sondage-odoxa
5 SAURUGGER Sabine, « Chapitre 3. Intergouvernementalisme », dans : Théories et concepts de l’intégration européenne. 2 e édition mise à jour et augmentée, sous la direction de SAURUGGER Sabine. Paris, Presses de Sciences Po, « Références », 2020, p. 69-102. URL : https://www-cairn- info.ezpaarse.univ-paris1.fr/theories-et concepts-de-l-integration-europeenne–9782724626353- page-69.htm
6 SCHMITT Fabienne, « Crise énergétique : Bruxelles va doubler les plafonds d’aide d’État », Les Echos, 27 octobre 2022, (disponible sur internet) : https://www.lesechos.fr/monde/europe/crise- energetique-bruxelles va-doubler-les-plafonds-daide-detat-1873352